mardi 27 août 2013

Carrefour de Buci

Pas mal marché, on cherche une terrasse pour prendre un verre et fumer une cigarette avant de repartir. Terrasse avec sièges jaunes et rouges, à l'ancienne, pas mal de place. On s'installe en déplaçant un peu tables et chaises, les tables pèsent un âne mort, c'est sympa l'ancien, quoiqu'assez peu transportable. Le serveur s'amène et esquisse un sourire à l'énoncé de la commande : un café (pour moi) et un coca (pour la gamine, qui ne boit que des sodas et des jus de fruits, vous étiez pareils à son âge, avouez).
 
Le serveur revient avec notre commande et la gamine pousse un cri d'horreur : 6 euros le coca. Le café plafonne à 2,80 euros. On comprend mieux le sourire fin du serveur. A ce prix-là, on va la savourer, notre pause. Et surtout surtout, bien enregistrer cette donnée essentielle : ne jamais plus au grand jamais retenter l'expérience. On avait oublié cette vérité essentielle : prendre un verre en terrasse à Paris relève d'un luxe inouï.
 
Un peu dégoûtées quand même, on s'apprête à savourer comme il se doit les breuvages olympiens et quasiment mythiques que le serveur a déposés devant nous. Mais le blaireau qui attendait un auditoire se déclenche.

Vous connaissez le phénomène : vous vous attablez quelque part et le blaireau de la table d'à côté, dont le but dans la vie est de prouver à la Terre entière qu'il est un astre parmi les astres, monte le son et vous fait partager sa vie passionnante. La personne qui l'accompagne est en général un accessoire plaisant dans le cirque qui se met en place.
 
Le monsieur, la cinquantaine, cheveux gris, écharpe grise et look germanopratin (un subtil mélange de lin et de matières nobles, donc) nous fait face. Sa copine, tailleur blanc et cheveux très soignés, nous tourne le dos. Impossible d'échapper au déluge sonore, accompagné des rires cristallins de la dame en tailleur blanc :
 
« Oh, tu sais, Alexandre, il se débrouille très bien. Il est en train de boucler sa licence à Penninghen (école d'art très payante et très cotée dans le monde du graphisme). On croit qu'il ne fait rien, mais il gère. Je lui ai prêté 800 euros parce qu'il voulait prendre des photos de ses copains sur des plaques de plexi. Il a déjà réussi à en tirer 1 500 euros. Ce n'est pas pour autant qu'il va me rembourser, mais bon, je suis son père, après tout... Tu vois qu'il s'en tire mieux que ce qu'on pouvait craindre... »
 
Comme on s'en fout un peu de la vie fastueuse du talentueux Alexandre et malgré notre plaisir de savoir que les étudiants ne connaissent pas tous la crise, mal remises du choc de l'addition faramineuse, nous quittons plus rapidement que prévu l'exorbitante terrasse, soulagées malgré tout : les écoles d'art françaises sont en pleine renaissance.