dimanche 14 avril 2013

Pourquoi tant de haine ?

En couverture de Télérama, cette semaine, une photo d'Emmanuelle Devos avec cette accroche : « Les acteurs sont des boucs émissaires » Dans l'article, l'actrice s'étonne :
 
« C'est très bizarre tout de même, cette société qui s'attaque à des saltimbanques sous prétexte qu'ils sont riches, alors que les neuf dixièmes ont du mal à survivre... On est passé directement de la cour du Roi-Soleil aux Jacobins, à Robespierre, aux coupeurs de têtes. Bizarre que la société s'attaque à ces gens qui après tout ne font de mal à personne et qui la symbolisent. Car c'est bien ce que nous sommes : le reflet de tous ceux qui viennent nous voir. Le miroir de leurs doutes, leurs problèmes... Qu'il y ait deux ou trois stars qui se goinfrent, OK. Sauf que Dany Boon est ses Ch'tis ont rapporté des millions à Pathé. En plus, s'il se plante une ou deux fois, son salaire dément, il ne l'aura plus... Pourquoi faire des acteurs les boucs émissaires du mal-être général ? Je ne comprends pas... »
 
Je n'ai suivi que de très loin la polémique à laquelle elle fait allusion, la preuve, je ne savais pas que des têtes avaient roulé sur le billot et que nous étions en pleine révolution...
 
En ce qui concerne le fait que les acteurs soient des miroirs des gens, je ne vois pas en quoi ça devrait donner un statut particulier aux acteurs. Nous avons besoin les uns des autres pour vivre, et pour ma part, le boulanger chez lequel je vais acheter un pain bien cuit est tout aussi important que l'actrice qui reflète mes doutes et mes problèmes.

Il se trouve que dans l'industrie cinématographique, certains acteurs gagnent très bien leur vie, ça doit s'expliquer par des tas de raisons. Pour Emmanuelle Devos, il est normal que les saltimbanques précaires qui rapportent beaucoup d'argent touchent des salaires importants. Je suis totalement d'accord avec elle.
Malheureusement, cela ne semble concerner que quelques-uns des saltimbanques précaires et, par exemple, pas du tout le travailleur lambda. N'importe quel salarié rapporte de l'argent à la personne qui l'emploie (qui s'empresserait dans le cas contraire de lui prouver à quel point c'est pas facile tous les jours la vie de saltimbanque précaire), mais la plupart des salaires ne tiennent pas compte de cette donnée. Donc, certains acteurs et certains footballeurs et certains personnages publics touchent des sommes faramineuses pour faire ce qu'ils font, tandis que la plupart des gens ne touchent pas un salaire en rapport avec ce qu'ils sacrifient pour aller gagner leur vie.
 
Les acteurs font en outre partie de la machine médiatique qui nous cisaille le cervelet. Ils sont invités à nous raconter leur vie, à nous faire part de leurs angoisses, à nous faire partager leurs trucs et astuces, les dames vident leur sac et nous conseillent telle poudre libre et tel mascara, prennent fait et cause pour tel sac si pratique, tel parfum envoûtant. Les messieurs ne sont pas en reste et nous proposent parfums, pâtes, assurances, banques et jambons. 
Parlons enfin du mal-être général dont les acteurs seraient les boucs émissaires.
La société française est totalement éclatée, atomisée, ventilée aux quatre coins de la stratosphère. Une partie de plus en plus importante des membres de cette société est soumise à une insécurité grandissante, à des conditions de travail et de vie intenables.
 Alors, ils s'en prennent verbalement (après vérification, aucune tête n'a été brandie au bout d'une pique, ouf !, on respire !) aux plus exposés de ceux qui représentent le système qui les broie et les condamne à une vie de merde, à ceux qu'ils contemplent d'ordinaire bouche bée, lorsque, dans leurs beaux smokings et leurs belles robes, ils arpentent les tapis rouges, participent à des fêtes, honorent des galas de bienfaisance de leur Véritablement Indispensable Présence. Il y a aussi ceux qui annoncent avec tambours, trompettes, pertes et fracas qu'ils n'ont pas d'autre choix que l'exil parce que c'est trop injuste tout l'argent qu'on leur retire sur leurs cachets mirobolants.
 
En plus, les acteurs font des photos qui paraissent en couverture des journaux, sur lesquelles on les voit, avec des airs de tête à claque, se rouler dans des draps, arborant un fin sourire. Et après, ils ne comprennent pas.