jeudi 13 juin 2013

La crise, c'est la faute des chômeurs et des diplômés en littérature et en sciences humaines, pardi !

Pendant que j'étais occupée à taper sur les politiciens et les bobos, je n'ai pas vu venir ce qui se préparait pour moi. 

Ce matin, je faisais un petit tour, à la fraîche. Savez-vous bien que ça devient de plus en plus difficile de faire ses courses au marché ou de chiner sans avoir droit à des propos haineux du genre : « Tout ça, c'est la faute des chômeurs ! » ?

Ce matin, le type à qui je voulais acheter deux bouquins me sert la complainte tous des feignants ces horribles chômeurs, la crise c'est de leur faute. 

Je commence à être habituée, je me suis tapé ça pendant un an dans les centres d'appels et je garde mon calme : « Mais oui, vous avez raison, Monsieur, tous ces chômeurs, ce qu'il faudrait, c'est les coller contre un mur ou dans des camps de concentration ! »

Le type reste un peu cloué mais conserve son bon sourire : « Non, en réalité, il faudrait les envoyer là où c'est les vacances tout le temps ! » C'est sibyllin à souhait, ça ne veut pas dire grand-chose, mais il est content, il a trouvé une formule. 

Je lui laisse les deux bouquins que j'allais lui acheter, aucune raison de sponsoriser ce genre de gugusse.

Au passage, je me demande s'il déclare tout ce qu'il gagne, s'il paie toutes ses cotisations ou bien s'il s'arrange, s'il se démerde, s'il gruge un peu, comme tout le monde, parce que ça serait vraiment trop con de payer plein pot alors qu'on peut se faire sa petite gratte.

Il faut vraiment être débile pour s'acquitter en totalité de ses impôts et de ses cotisations, entre les paradis fiscaux, les comptes offshore et les petits arrangements... 

Seuls les salaires et les allocations chômage sont ponctionnés sur des bases réelles, pour le reste, la «démerde» et la défiscalisation plus ou moins sauvage sont élevés au rang de sport national, et c'est à qui sera le plus «malin» et le plus profiteur, l’œil protubérant sur l'assiette du voisin, toujours trop remplie, comment on pourrait faire pour se goinfrer au passage la prochaine fois...  

On admire en sourdine les escroqueries bien menées et ceux qui s'en mettent plein les fouilles, même si on fait semblant de s'indigner vertueusement.

On aime Mandrin et Cartouche, Zorro, Robin des Bois et Tapie, tout ça en vrac, parce que c'est marrant de gruger les fermiers généraux et qu'il faudrait vraiment être le dernier des couillons pour croire que l'argent des impôts et des prélèvements sociaux est intégralement utilisé pour le bien public.

Les seuls qu'on ne supporte pas, c'est les chômeurs, ces parasites, ces peigne-culs, ces gagne-petit, qui cotisent pourtant pour leurs allocations, dont les revenus sont fort peu falsifiables et qui, comble de bêtise, à force de gagner des salaires de smicards, risquent fort de finir à l'hospice et il faudra encore payer, si c'est pas malheureux, tout de même !

C'est le côté profondément républicain des Français, qui adorent se faire mettre, pour autant que le fouteur prétende avoir de la branche et leur donne l'impression qu'ils font un peu partie du même monde.

En plus, je suis une grosse chômeuse qui, je cite, profite du système. Je n'entends que ça en ce moment. Ça fait des années que je travaille, que je cotise, que je me débats comme je peux et parce que je refuse des boulots de merde, tout le monde me sort que je profite du système.

Ho hé ! du bateau ! tout le monde est arrimé ou bien ? 

Je profite du système parce que je refuse des boulots de plonge payés au SMIC au prétexte futile que j'ai une formation de cuisine, une licence et un DUT. 

Je vous demande un peu ce que feront les personnes qui n'ont aucun diplôme si les diplômés acceptent les boulots de plonge ? 

La jeune femme de la boîte d'intérim qui me proposait cette aubaine  avait le ton bref dans mon téléphone. « Encore une de ces étudiantes perpétuelles, qu'il faut envoyer au travail à coups de pompe dans le derche », pensait-elle, du haut de ses vingt ans et quelques et de sa science infuse et sans appel, « ça se plaint d'avoir mal au dos, ça va voir le kiné pour le moindre bobo, ça fait perdre un temps fou avec ses scrupules et ses atermoiements, on se demande à quoi ça sert ! »

Outre les chômeurs, ces immondes parasites, il faut punir les diplômés, surtout ceux qui ont choisi littérature et sciences humaines, que des formations de feignasses inutiles et dont Zadig et Voltaire se foutent comme de l'an 40 (c'est vrai ça, quoi, s'il faut en plus s'intéresser à l'an 40 !), qu'ils en chient, qu'ils en bavent, ça leur apprendra, avec leurs grands airs et leurs dégoûts de divas. 

D'ailleurs, tiens, on devrait supprimer ces formations ou au moins obliger les gens qui les suivent à les rembourser à la collectivité, ça serait une pratique de bonne gestion, et la collectivité pourra investir cet argent dans des programmes enthousiasmants et pas du tout prise de tête, qui mettent en avant des filles carrées au franc-parler reposant.