Burgess et WC Fields avaient beaucoup de mal avec les
dentistes. Vous vous demandez sans doute pourquoi. Moi pas.
J’ai eu droit un peu à tout, du bellâtre saisonnier au
connard qui t’arrache une dent pendant que son assistante lui fait une scène de
ménage et qui est tout surpris quand de ta cavité buccale malmenée jaillit du
sang, les gens sont sales, vraiment. Je me suis tirée du dispensaire dentaire après
un bras d’honneur et sans payer, les sadiks, il ne faut pas les encourager.
Le barjot m’ayant détruit la mâchoire à grands coups d’arracheuse
de dents et comme je ne souhaitais pas le revoir, par manque de masochisme, j’ai
dû m’ôter les fils de suture à la pince à épiler après m’être copieusement
défoncée à l’aspirine. Un petit côté western qui peut avoir son charme, pas
vrai ?
J’ai aussi eu droit à la dentiste incompétente mais fille de
dentiste (ce qui explique sa vocation à défaut de mieux) qui m’a suivie pendant
des années sans jamais prendre la peine de me dire que j’étais atteinte d’une
maladie parodontale et qu’il fallait que je prenne soin de mes gencives. Qui m’a
fait subir une greffe (un morceau de palais greffé sur la gencive, je vous
conseille, c’est jouissif !) inutile.
Sans compter tous ceux qui constatent les dégâts et poussent
des cris de bête au lieu de faire leur boulot, qui est, rappelons-le de
soigner.
Parce que leurs considérations variées et atterrées sur l’état
de mes dents, le fait que je n’ai pas bénéficié d’orthodontie alors qu’il
aurait fallu – ce n’était pas du tout courant à mon époque et pas du tout le
genre de ma famille -, leurs interrogations sur le pourquoi du comment, je m’en
contrefous, pour ne pas dire des choses plus contondantes.
C’est pour ça que je suis sortie assez furax de la salle des
tortures de la dernière frappadingue que j’ai dû me coltiner pour prendre le
taureau par les cornes et ma santé buccale en main.
Cette brave femme en perpétuelle explosion, après avoir
rouscaillé contre son assistante (une souris grise aux aguets, ça ne doit pas
être facile pour elle tous les jours, entre la Mengele de la roulette et sa
collègue assistante, une claironnante andouille en mode gros ouaoua), s’est
attachée à me torturer les gencives tout en me fusillant du regard et en
émettant des remarques pourries et totalement superfétatoires et hautement
désagréables, et en me recommandant l’arrachage de mes dents de sagesse. Comme j’en
ai besoin pour mâcher, j’ai juste levé le sourcil gauche tout en pensant « cause
toujours tu m’intéresses ».
Je me tortillais comme un ver et manifestais mon
désagrément et ma volonté farouche de réagir, violemment si nécessaire, à ces
agressions, alors Madame Roulette-dans-tes-yeux décida de plier les gaules et m’annonça qu’elle cessait les
hostilités.
« C’est con, on vous torture et vous n’y prenez aucun plaisir, avouez
que vous avez mauvais fond, Madame. »
Je lui ai indiqué que j’étais en effet assez peu
encline à me laisser brutaliser, tout en m’excusant bien sûr, de ne pas la
boucler et subir.
Elle a pris un air contrit, parlé de mon « ressenti »,
expliqué qu’elle procédait à une technique, qu’il fallait un nettoyage profond.
Je lui ai appris qu’autour des dents il y a des gens et aussi que mon seuil de
tolérance à la violence est ridiculement bas.
Elle m’a rendu mes petites affaires, on sentait qu’elle se
retenait d’en venir aux mains.
Je me suis précipitée vers le bureau des assistantes et la
sortie. L’assistante grande gueule a fait semblant de ne pas me voir, alors j’ai
tourné les talons et je me suis arrachée, tandis que l’autre tarée se faisait
plaindre (« Les assurés sociaux sont incroyables, vraiment ! »).
La claironnante assistante a propulsé sa blouse blanche dans
ma direction, armée d’une carte que je n’ai pas prise, aucune probabilité que je
remette jamais les pieds dans cet asile d’aliénés, et a tenté de me faire
prendre des vessies pour des lanternes : il aurait fallu que je patiente
et blablabli et blablablo. Mes gencives hurlaient de rage. Je les ai plantées
là après leur avoir indiqué que comme je venais de me faire torturer, je
voulais rentrer chez moi le plus vite possible.
Elles doivent être habituées à des mâchoires plus dociles et
plus reconnaissantes, avec qui elles peuvent tranquillement faire leur petit
numéro, ça va leur faire des histoires à raconter à la veillée.
Merci la Sécu, de m'avoir indiqué cette adresse !