vendredi 16 mars 2012

Je devrais moins écouter la radio...

Ces derniers temps à la radio, les journalistes en ont assez qu'on les accuse de tous les maux et renâclent contre le vent de populisme qui déferle, c'est honteux, sur notre beau pays. 

On conspue les élites, on tire à boulets rouges sur les riches, on accuse les chômeurs de tous les maux, enfin, bref, les Français s'entredéchirent et se vilipendent à tour de bras.
Et savez-vous bien que le vote extrême est fort répandu chez les jeunes des couches populaires, ces non-diplômés qui forment les rangs des futurs chômeurs ou des futurs esclaves ? 
Les journalistes trouvent ça ballot et les chiffres les alarment.

Sauf que lorsqu'il faut demander leur avis à la jeunesse, ils ne la demandent jamais à ces jeunes-là, mais de façon assez surprenante toujours à des jeunes qui font des écoles ronflantes et sont destinés à devenir les maîtres du monde. 
Il sera toujours dit qu'un jeune qui fait Sciences po a plus de choses intelligentes à dire qu'un jeune qui ne l'a pas fait, qu'un fils de bourgeois aura toujours un avis éclairé comparé à un fils de prolo qui, c'est bien connu, ne s'intéresse pas à la politique et sait à peine aligner trois mots (ils sont pourtant tous deux allés à l'école de la République, cherchez l'erreur !).
Entre autres choses croquignolettes que ces jeunes à l'avis éclairé peuvent exprimer, ceci, à propos de la surreprésentation des fils de bourgeois dans les grandes écoles et dans les filières réservées à l'élite de la Nation, fièrement articulé par un jeune futur radiologue : « Les jeunes des classes populaires s'autocensurent. »

L'autocensure, je n'y avais pas pensé.
On m'avait déjà fait le coup des complexes
(« Les gens des classes inférieures ont des complexes qui les empêchent de se projeter dans des destinées grandioses, on se demande bien pourquoi, franchement ! »), mais pour l'autocensure, heureusement que ce sympathique futur soignant a éclairé ma lanterne,  parce que je n'y aurais pas pensé toute seule.
Dans mon CES de prolétaire banlieue, ils devaient avoir bien compris à quel point on était versés dans l'autocensure, parce que dès qu'un élève avait des résultats moyens, on lui proposait un avenir riant de technicien de surface et on nous promettait dès la sixième des voies de garage.

Les élèves assez dingos pour briguer des orientations un peu ambitieuses étaient gentiment priés de réviser à la baisse leurs aspirations : vu qu'ils allaient de toute façon avoir une vie de merde, pas la peine qu'ils se fassent des illusions. 
Quant aux élèves brillants, ils étaient plutôt vus comme des problèmes sur pattes et déclenchaient la suspicion et la méfiance.
Les parents qui n'avaient pas trop envie de voir leur progéniture finir à la casse avaient intérêt à ne pas prendre pour argent comptant les décisions des conseils de classe et à drôlement se remuer le Q. 

Les choses n'ont pas beaucoup changé et, sous couvert de discours bien pensants, la reproduction sociale et la ségrégation vont bon train, et l'école y prend toute sa part. 

Les médias sont envahis de fils à papa qui n'ont jamais entendu parler d'autocensure et qui, sans complexe aucun, nous assènent quotidiennement des preuves de leur belle santé morale et psychologique en nous décrivant leurs affres et malheurs ou les affres et malheurs de leurs semblables. 

Mais qui est responsable du bordel ambiant ? Ces salauds de pauvres qui s'autocensurent et ne veulent rien comprendre à rien. Ces salauds de pauvres qui - au lieu de rester gentiment à leur place sans moufter à siroter leur pinard de merde - votent mal, votent méchant. 

Ces salauds de pauvres que ceux qui prétendent aujourd'hui défendre leurs intérêts prendraient le même plaisir à tondre et à traiter comme des larbins si l'occasion de montrer de quel bois ils se chauffent leur était enfin donnée...