samedi 13 août 2011

What did you expect ?

« What did you expect ? »
Uma Thurman, maquillée comme une idole païenne, pose la question au pauvre gars désarmé en face d’elle et on ricane in petto. Mais oui, pauvre imbécile, what did you expect ? Tu croyais vraiment qu’Uma Thurman te proposait, à toi, pauvre minus anonyme, de faire des choses ? Crétin !
« What did you expect ? »
La phrase tourne en boucle dans ma tronche et les yeux violemment peinturlurés d’Uma Thurman me jettent un regard froid et moqueur. Je dois être un tantisoit fragile en ce moment, parce que tout se fout un peu de ma gueule alentour. 
Je trimballe ma petite parano tranquille jour après jour, le visage à peu près lisse. Je ne hurle pas, je ne vitupère pas comme ces gens totalement à côté de leurs pompes qu’on croise parfois. On ne sait pas à qui s’adresse leur colère qui déborde en vrac et on a peur qu’elle ne nous tombe dessus.
Non, je suis calme, je fais avec, j’ai l’habitude, mais il n’empêche, on se fout de ma gueule. 
Un exemple ? Ce matin, je me suis réveillée en entendant à la radio, sur France Inter, une dame me donner des conseils pour placer mon argent. 

Mon argent. Ça évoque des pratiques saines d’économie domestique et de prudence. Encore un peu ensuquée, j’ai dérivé là-dessus : mon argent fructifie, mon argent est placé, mon argent rapporte, mon argent est bien élevé. 

La dame de la radio a ensuite enchaîné sur les placements pour la retraite. Mon argent pour ma retraite. Un samedi matin. C’était un peu trop et j’ai éteint la radio.  
Il se peut que vous fassiez partie des gens pour qui le concept « mon argent pour ma retraite » coule de source. Forcément, vous ne comprenez pas pourquoi la dame se foutait de ma gueule un samedi matin. 
Il n’y a pas très longtemps, j’ai eu au téléphone des retraités que je croyais n’exister que dans les feuilletons sympathiques à la télé, où les familles sont toujours nanties d’une maison de famille avec jolie dégringolade de lierre sur la façade. Des retraités bien élevés pour la plupart qui abonnent leurs petits-enfants à une revue parce que lire, c’est bien. 

Comme j’étais rétribuée fort chichement mais que je pouvais espérer toucher un peu plus de sous (mon argent ma retraite) en vendant plein d’abonnements, j’ai beaucoup discuté avec ces gens qui adorent parler de leurs petits-enfants et de leur avenir (leurs petits-enfants ont un avenir).

C’était parfois un peu compliqué de les joindre, ces retraités, entre leur maison de campagne et leur résidence principale.

Une dame m’a expliqué que ses petits-enfants étaient privilégiés, qu’ils avaient la chance de vivre dans un environnement privilégié. Le mot «privilégié » lui faisait plaisir, ça s’entendait. J’ai abondé dans son sens, l’ai bien caressée dans le sens du poil de sa vanité. Elle a accepté de prendre un abonnement supplémentaire pour ses petits-enfants. En me donnant ses coordonnées, elle a précisé qu’elle était chercheuse en mathématiques.

Moi, je m’appelais Stéphanie Chevalier. Chevalier, c’est le nom que tous les téléconseillers emploient pour vous faire croire qu’ils sont bien blancs et bien français et ne pas vous effrayer. Je vous appelais chez vous, parce que votre fiche s’affichait sur l’écran de l’ordinateur devant lequel j’étais vissée de 10 heures à 14 heures et de 16 heures à 20 heures pour vous vendre un abonnement, voire plusieurs. Vous aviez les moyens et je n’allais pas vous empêcher de gâter vos petits-enfants.

Souvent, je me faisais raccrocher au nez sauvagement. Les retraités n’aiment pas qu’on les dérange chez eux et ils se laissent parfois aller à des écarts de langage quand ils sont harcelés par des téléconseillers.

Un retraité goguenard m’a demandé si j’appelais de Tunisie ou du Maroc. J’ai ri même si j’avais en sourdine l’impression qu’on se foutait de ma gueule.
« What did you expect ? »