jeudi 4 juillet 2013

EDR, EDR, est-ce que j'ai une gueule d'EDR ?

En ce moment, je fréquente des cuisines de collectivité, des endroits qui regorgent d'une catégorie de personnel que l'on appelle les EDR (employés de restauration).

Les EDR sont majoritairement des femmes. Leur boulot est très varié : mise en place et rangement des salles (qui sont assez vastes en général), préparation des hors-d’œuvre et desserts, nettoyage, plonge, bref, toutes les tâches plus ou moins ingrates que les cuisiniers (qui sont majoritairement des hommes) n'accomplissent pas mais qui sont tout de même largement indispensables au bon déroulement des opérations de nourrissage des employés qui fréquentent le self ou la salle de restaurant.

Les établissements dans lesquels je travaille servent de 70 à 600 repas le midi. Autant dire que le travail ne manque pas. En tant qu'EDR, je touche le SMIC. 

L'EDR n'est pas du tout valorisée dans son travail et certains employés ont tendance à les considérer comme des merdes. L'employée de bureau est particulièrement alerte dans ce sport qui consiste à considérer que les femmes de ménage et les dames de cantine sont des moins que rien, sans doute parce qu'elle-même est une lumière indispensable à la bonne marche de l'univers.

Les EDR effectuent des taches ingrates, rebutantes pour certaines (la plonge, par exemple), répétitives, mal rémunérées et mal considérées. 

En discutant avec mes collègues, j'ai découvert que la plupart d'entre elles ont été mal orientées et éjectées assez tôt du système scolaire. Certaines sont EDR depuis un temps infini et n'ont JAMAIS évolué dans leur travail. Lorsque je leur dis que je ne compte pas faire EDR toute ma vie, et que si je reste en cuisine, j'ai l'intention de passer le CAP (le sésame indispensable pour devenir commis et faire de la vraie cuisine), mes collègues semblent considérer que j'ai la folie des grandeurs. 

Les personnes qui travaillent en cuisine sont en général persuadées que les personnes qui travaillent dans les bureaux n'en foutent pas une ramée et passent leur temps à se la couler douce dans un univers kafkaïen et voué à la perte de temps et aux bavardages inutiles et improductifs. J'ai parfois tenté de les détromper, mais le fossé qui sépare les deux univers semble infranchissable. J'ai souvent l'impression qu'il faut que je me fasse pardonner de ne pas être une « vraie » EDR.

Au niveau du management, comme dans les bureaux, on trouve un peu de tout : de l'incapable notoire au vrai compétent. En général, les grosses structures favorisent le maintien des incapables gonflés de leur propre importance et qui fonctionnent sur le mode favoritisme basé sur des raisons plus ou moins avouables.

Un gros bourrin de cet acabit est une plaie pour une équipe, même composée d'éléments valables, parce qu'il insuffle un sale esprit et qu'il s'allie avec les personnes les plus crapoteuses de l'équipe (celles que le favoritisme à base de faveurs sexuelles ne rebute pas, par exemple, et les autres gros bourrins qui trouvent ce fonctionnement normal). L'équipe fonctionne (et les employés déjeunent à l'heure tous les jours dans des conditions sanitaires correctes) mais il y a quelque chose qui ne marche pas et les employés intérimaires sont souvent considérés comme les boucs émissaires potentiels de ces équipes.

Les employés intérimaires sont parfaitement au fait que les employés en CDD et en CDI ont tendance (que ce soit conscient ou pas) à leur faire endosser un rôle d'exutoire pour lequel ils ne sont pas rémunérés et échangent des informations lorsqu'ils en ont l'occasion sur les différentes boîtes qu'ils sont amenés à fréquenter et les différentes forces en présence.

Certaines missions relèvent de l'exploit pur et simple : il faut arracher aux personnes en poste la moindre information, se défendre bec et ongles pour se faire respecter un minimum, supporter que certains de tes collègues te prennent pour une gogole, repérer très vite qui donne les bonnes informations et qui les mauvaises (particulièrement dans les grosses structures, où les circuits de circulation de l'information peuvent être très informels...), ne pas se laisser démolir par un bourrin de petit chef, sourire aux connasses d'employées qui trouvent urgent, au lieu de consulter, de te montrer à quel point elles te méprisent parce que tu es à leur service... Et ne pas exploser de rire quand un jeune cuisinier (charmant au demeurant) te regarde comme une alien et roule des yeux effarés parce que tu prononces le mot « crise ». Tu ne le feras plus, il ne faut pas invoquer certaines puissances infernales, ça porte malheur, c'est bien connu, sans compter que ça pourrait être contagieux...

L'intérêt de ces missions, c'est qu'elles ne durent pas ! 

Je tire mon chapeau aux femmes qui doivent endurer jour après jour, vaille que vaille, des conditions de travail aussi merdiques et font face à des frustrations aussi énormes sans exploser. 

Je m'abstiendrai de dire ce que je pense du système scolaire français et de tous les beaux discours sur la formation tout au long de la vie. Je m'abstiendrai également du long discours dogmatique et dormitif sur la contradiction intrinsèque qui habite les Français et les fait se conduire comme des malpolis avec les serveurs et les femmes de ménage, se comporter comme les pires serpillières avec les puissants et brailler comme des gorets qu'ils sont républicains et démocrates...