lundi 20 février 2012

Aux avant-postes de la précarisation

C'est plaisant d'être pionnier et précurseur, surtout si comme moi on goûte peu la facilité et la routine. 
Tout de même, parfois, je reconnais que je fatigue un peu. 

Vous en connaissez beaucoup des boulots où on vous demande de travailler gratuitement et où l'on suppute que vous serez éventuellement payé si le produit que vous avez entièrement conçu et fabriqué se vend ?

J'explique : il s'agissait pour un nouveau concept sur Internet, de rédiger et d'illustrer (photos ou autres) des billets sur des aspects un peu insolites de la ville afin que les internautes se connectant accèdent de façon ludique à des informations et à des propositions commerciales. 

Le rendez-vous pour proposer ce mirifique machin était organisé dans les locaux de Pôle Emploi. Je ne vais même pas faire de commentaires. 

Il y a avait là en espérance de travail quelques plumitifs plus ou moins doués et aguerris, dont un pénible vieux schnock qui se la pétait (pas d'autres commentaires, espèce courante et communément rencontrée dans les contrées plumitives), des jeunes filles fort jolies qui ont très vite quitté la réunion, effarées. 

Pour ma part, aiguillonnée par la curiosité, je suis restée toute la réunion et ça ne manquait pas d'un certain charme. Il faut reconnaître qu'étant donné nos supposées compétences et notre possible inextinguible corvéabilité, le monsieur qui présentait les choses était plutôt courtois (ça change de mes derniers boulots où en plus de te sous-payer et de te faire marner comme un esclave, on te crache à ta gueule de sous-merde prolétarienne). Il faisait de notables efforts pour s'exprimer dans un français correct.

Le problème, c'est que l'annonce de recrutement parlait d'un poste fixe avec salaire à la clé et que plus la réunion avançait et plus on comprenait que c'était de la sous-pige sous-rémunérée au clic. 

J'ai posé quelques questions, le vieux schnock a fait son numéro. Je n'ai pas donné suite. Le monsieur qui avait fait la présentation m'a recontactée pour me demander pourquoi il n'avait plus de mes nouvelles et je lui ai répondu que j'avais pas trop la possibilité en ce moment de consacrer du temps à travailler sans être payée.

Vous me direz, il faut avoir le tempérament entrepreunarial et la fibre indépendante. Je vous répondrai : « Vous en connaissez beaucoup, vous, des secteurs où on vous prend autant pour des truffes ? »

Imaginez qu'il y a des gens qui trouvent normal de se faire payer cher et sur-le-champ... voire cher et à l'avance... 

Qu'est-ce qui rend acceptable que dans certaines professions il soit communément admis que tu doives crever la dalle et que ton travail ne soit pas correctement rémunéré ? Rien, à part cette espèce de coutume romantique à la noix qui présuppose que le plumitif aime les mansardes et la vie de bohème.

Le plumitif, comme tout le monde, travaille pour maîtriser son outil, achète des livres, des journaux, le plumitif produit du contenu, pour le dire à la sauce moderne, c'est donc un acteur de la vie économique et il aimerait bien qu'on arrête de penser qu'il vit d'amour et d'eau fraîche quand il s'agit de lui donner des sous.

Encore une légende urbaine qui bat de l'aile : le plumitif paie son loyer et son bifteck au même prix que tous les autres acteurs de la vie économique, il n'a pas de ristourne ni de tarif préférentiel même si on lui propose insolemment souvent de le payer avec des queues de cerise au motif qu'il ne sait pas compter ou que des études de lettres ça rapporte pas tout le monde sait ça.


C'est tout, vous pouvez fumer !