Le matin, on a droit à un mail agressif, genre « Vous êtes des buses, vous ne faites pas vos chiffres, vous craignez tellement qu'on se demande ce que vous foutez là ». Ça met en jambes pour la journée.
Si un appel dure un peu trop longtemps, on se fait allumer. Les gens à l'autre bout du fil, et qui appellent pour demander des infos sur leur dossier, râler parce qu'ils n'ont pas eu leurs sous, ne sont pas au courant qu'on doit les expédier en 4,30 minutes.
4,30 minutes pour vérifier leur adresse, leurs numéros de téléphone, leur envoyer leurs codes d'accès, les abonner au service de e-relevés, répondre à leurs questions, leur demander s'ils ont tout compris, verrouiller la conversation en leur demandant si on peut faire autre chose pour eux. C'est là que certains repartent pour une autre question et tu ne peux tout de même pas les envoyer chier. Si ?
4,30 minutes pour vérifier leur adresse, leurs numéros de téléphone, leur envoyer leurs codes d'accès, les abonner au service de e-relevés, répondre à leurs questions, leur demander s'ils ont tout compris, verrouiller la conversation en leur demandant si on peut faire autre chose pour eux. C'est là que certains repartent pour une autre question et tu ne peux tout de même pas les envoyer chier. Si ?
En plus, tu dois leur proposer un contrat de prévoyance, parce que si tu ne fais pas tes chiffres, tu vas te prendre un autre mail dans la journée (en plus de celui du matin où on t'a bien expliqué que tu étais une merde) dans lequel ton managueur développe à quel point tu es vraiment une pure merde, tellement tu as eu d'appels et tu n'as pas fait tes chiffres, pas assez proposé de prévoyance, pas fait de bilans, pas respecté les 4,30 minutes de durée moyenne de communication et les 45 secondes de temps de saisie.
Pour chaque appel, tu dois vérifier le dossier avec un logiciel très con et fort peu convivial (genre toutes les infos sont soigneusement dissimulées à des endroits improbables et pour les découvrir, c'est un vrai jeu de piste à base de trois milliards de clics), et tout en faisant ça, tu dois en même temps (tu es une merde multitâche) renseigner le logiciel de traçage et indiquer pourquoi le gars t'appelle (il y a des menus déroulants dans lesquels tu peux choisir, mais bien sûr, tous les cas n'ont pas été prévus et on peut te péter la tête si tu ne choisis pas comme il faut), éventuellement lui envoyer un mail avec un doc à l'aide d'un outil agaçant de lenteur (les documents ne sont bien sûr pas centralisés à un seul endroit, ça serait trop simple, il faut aller les chercher à droite à gauche en haut en bas, et si tu perds du temps, tu te sens devenir la grosse merde qu'on t'a déjà expliqué que tu étais), et puis passer rapidement à l'appel suivant.
Mon temps moyen de communication est d'au moins 6 minutes (je crois que je bats tous les records de merditude !!), je suis rarement à l'objectif pour les propositions de prévoyance, j'oublie souvent de réaliser des bilans (des questions à la noix sur les dossiers, surtout destinées à placer encore et toujours des contrats de prévoyance, ça dure des plombes, un message te signale en début de communication que tu dois le faire, mais si la communication est un peu ardue, tu perds le fil et tu te rends compte que tu as oublié le bilan au moment où tu raccroches et tu dis des gros mots...).
Pour chaque appel, tu dois vérifier le dossier avec un logiciel très con et fort peu convivial (genre toutes les infos sont soigneusement dissimulées à des endroits improbables et pour les découvrir, c'est un vrai jeu de piste à base de trois milliards de clics), et tout en faisant ça, tu dois en même temps (tu es une merde multitâche) renseigner le logiciel de traçage et indiquer pourquoi le gars t'appelle (il y a des menus déroulants dans lesquels tu peux choisir, mais bien sûr, tous les cas n'ont pas été prévus et on peut te péter la tête si tu ne choisis pas comme il faut), éventuellement lui envoyer un mail avec un doc à l'aide d'un outil agaçant de lenteur (les documents ne sont bien sûr pas centralisés à un seul endroit, ça serait trop simple, il faut aller les chercher à droite à gauche en haut en bas, et si tu perds du temps, tu te sens devenir la grosse merde qu'on t'a déjà expliqué que tu étais), et puis passer rapidement à l'appel suivant.
Mon temps moyen de communication est d'au moins 6 minutes (je crois que je bats tous les records de merditude !!), je suis rarement à l'objectif pour les propositions de prévoyance, j'oublie souvent de réaliser des bilans (des questions à la noix sur les dossiers, surtout destinées à placer encore et toujours des contrats de prévoyance, ça dure des plombes, un message te signale en début de communication que tu dois le faire, mais si la communication est un peu ardue, tu perds le fil et tu te rends compte que tu as oublié le bilan au moment où tu raccroches et tu dis des gros mots...).
Je crains de ne pas avoir un vrai tempérament de commerciale. Je fais ce boulot pour gagner ma croûte, pas par vocation, les conditions dans lesquelles je l'exerce ne me semblent pas propices à un dépassement de ma compétitivité car je ne suis pas du genre que les coups de pompe dans le cul galvanisent.
Cette semaine, on a déjà eu droit à deux mails de notre managueur, qui nous explique que respecter nos objectifs fait partie de notre fiche de poste (pas eu le temps d'aller consulter cette fiche de poste, moi) et qu'il est lassé de nous rappeler à l'ordre constamment.
Pour nous aider à sortir de notre merde, on a le droit aussi à des doubles écoutes en live : le managueur prend un écouteur et nous flique pendant une communication ou deux. Après, il démonte systématique tout ce qu'on a fait, afin de nous aider à progresser, il paraît. Nos communications sont enregistrées de manière aléatoire. Ces enregistrements sont debriefés par tous les managueurs réunis en aréopage, toi au milieu qui te fais redémonter. Si tu te risques à émettre des objections, il y aura toujours quelqu'un pour te dire que le but de la manœuvre c'est de te faire progresser, alors ne le prends pas mal.
Tu as tout le temps tort, tout ce que tu fais est nul et sujet à caution, il faut admettre le fait dès le départ, sinon tu risques d'y laisser des plumes.
Le pire, c'est qu'il n'existe aucune solidarité entre collègues, qu'on ne peut absolument pas faire front, parce que notre boulot, toujours au téléphone, avec 10 minutes de pause le matin et l'après-midi fait qu'on ne peut pas échanger plus de 3 secondes avec les autres galériens qui nous entourent. Cela fait deux jours que je n'ai pas pu prendre mes pauses.
Il y a quelques personnes qui respectent les temps imposés sur le plateau d'appels. Nos chiffres sont affichés à côté de l'entrée et les bad boys sont indiqués en rouge. Il y a finalement assez peu de vert, je trouve, si on tient compte du nombre de rappels à l'ordre et de menaces voilées qui sont censés nous remettre dans le droit chemin.
Je jette juste un coup d’œil de loin certains matins à ce truc pour constater la persistance du rouge, qui me rassure : je ne suis pas la seule merde, finalement. Certaines de mes collègues se délectent de ces informations, je me demande si elles ont une vraie vie en dehors de ce petit univers étouffant et mesquin dans lequel elles s'épanouissent.
J'ai discuté trois secondes l'autre matin avec une de mes collègues, le matin très tôt avant de commencer à bosser, en prenant le café : j'étais soulagée et elle aussi de partager enfin, si peu que ce soit, ces sales moments, parce qu'au bout d'un moment, le mal-être et la colère, tu te persuades que c'est parce que tu es une merde que tu les éprouves.