Alors que l’élan est national et le consensus parfait – buvez
du champagne en terrasse pour produire des flatulences moqueuses, tandis que
nous préparons la riposte sanglante, si j’ai bien tout compris –, qu’est-ce qui
fait que je reste froide ?
Pourquoi, nom d’un djihadiste, je ne ressens pas le besoin
violent d’en découdre et de rejoindre le peuple uni et réuni au son des
martiales alarmes ?
Je pense aux morts qui ont déjà pétri dans le sang et la
boue et l’oubli aussi notre si belle histoire nationale, aux boucheries
anciennes ou plus récentes, aux appels au dézingage tous azimuts des perfides
de tous horizons, qui ont toujours porté sur les champs de bataille les mêmes
pioupious ahuris.
Je me demande si le monde est subitement devenu si lisible,
avec d’un côté des méchants parfaits et de l’autre des gentils non moins
parfaits. Et je me demande à quel moment j’ai raté le coche. Ce serait
tellement plus reposant d’adhérer à cette binarité réconfortante.
Les appels à la guerre et les déclarations d’état d’urgence s’amoncellent, justifiés par
des attaques dont on ne peut nier ce qu’elles ont d’ignoble.
Hier, on m’a demandé de haïr profondément un jeune homme à
la barbe noire et de ressentir un intense soulagement à l’annonce de sa mort.
Aujourd’hui, j’attends avec impatience qu’on m’annonce la mort d’un autre jeune
homme.
Est-ce que ça va soigner la douleur et apaiser le deuil des
familles des morts de Paris et d’ailleurs ?
La France serait-elle d’un seul coup devenue si belle et
fraternelle et métissée et ouverte et généreuse que l’ignorance et la barbarie
décident de l’en punir ? Ou est-ce de ses failles et de ses fractures que
des fous font leur fonds de commerce d’armes, d’effroi et de douleur ?